Emile Leblanc tells us his memories : 3/5
SO MANY TRAINS, SO MANY TRAINS!
Parlons-en de cette gare...
Du temps de sa splendeur, les abords et les installations de la gare étaient superbes et impeccablement propres. Deux rampes en petits pavés jaunes quadrillés légèrement en montée, bordées de grosses bornes en pierre de taille reliées entre elles par de grosses chaînes tressées, pour arriver au bâtiment de la gare. Celui-ci occupait à peu près toute la largeur disponible entre les pâtés de maisons de la rue Grétry.
De face, en entrant par le côté droit il y avait les guichets, le bureau du chef de gare, du sous-chef de gare, la salle d'attente première classe, la salle d'attente troisième classe et la salle des pas perdus, où l'on attendait le départ ou l'arrivée des trains; aussi un café restaurant et toilettes.
En dessous de la rampe gauche, un endroit bien précis dont les hommes ont bien besoin, lorsque les verres de bière doivent revenir.
Jusque vers 1935, le trafic sous la compagnie du Nord Belge était très dense, la ligne de Paris partait de Longdoz, les premiers wagons en acier y furent affectés.
Mon père disait à la grande époque où les moyens de transport n'étaient pas aussi nombreux, il arrivait ou partait de Longdoz un train toutes les cinq minutes il y avait plusieurs quais, les dimanches de grands matchs au Standard ou à Tilleur; il y eut jusqu'à trois trains spéciaux pour Ougrée, dès l'âge de six ans combien de fois l'ai-je pris avec mon Père!
Nous avions une loge dans la tribune du Standard; j'ai 74 ans lorsque j’écris ces lignes et c'est toujours mon club favori, mais que de changements dans tous les domaines, je me rappelle trois grands supporters aussi acharnés que nous, Monsieur Pelzer pharmacien, Monsieur Fabry pâtissier et Monsieur Fabry quincaillier.
Au retour, on entrait à l'Hôtel de France (Armée du Salut) attendre les résultats des matchs, ceux-ci communiqués par téléphone, on les inscrivait au fur et à mesure sur un tableau spécial sur lequel les équipes étaient inscrites, selon les résultats les clients manifestaient leur joie ou leur déception... Il fallait attendre assez longtemps et en hiver pour se réchauffer, on buvait un Bovril chaud avec une biscotte. Sur une étagère dans le café, il y avait des statuettes de footballeurs aux couleurs des clubs. On mettait selon les résultats aux vainqueurs, une casquette, pour un match nul, une demi buse et battu, une grande buse, ensuite on les rangeait dans l'ordre du classement général avec le nombre de points acquis.
Dans la rue Natalis il y avait un passage à niveau, presque toujours fermé vu le trafic et un tunnel pour piétons. Il y puait la gale, ce ne fut pas par gloire qu'on le supprima le plus tôt possible, une fois la gare désaffectée.
Petit à petit, la société du Nord Belge, rachetée par la SNCB, le trafic ferroviaire passa aux Guillemins et Longdoz fermé, de ce fait, les commerces et le quartier perdirent activités et prospérité. Mon Père eut alors la formidable idée de bien vite, dès 1935, nous installer au centre de Liège rue Pont d'Ile, tout en gardant nos ateliers et magasin rue Grétry.
Rue Libotte, la gare de marchandises pour expédier des colis continua encore des années, des camions transportaient aux Guillemins les colis.
Les bâtiments et entrepôts tombants tout doucement en dégradation, il fallut des années pour voir raser le tout, y compris les maisons de la rue Grétry et Libotte, pour construire le complexe actuel et élargir la rue Libotte. Le vrai site de la gare resta terrain vague et parking jusqu'à ce mois d'avril 1994 où un nouveau complexe se construit.
Le chant des aiguillages et des sabots
Je me rappelle plusieurs lignes de trams,
- N°1 Guillemins - Coromeuse,
- N°2 Théâtre - Bonne femme,
- N°3 St Lambert - Bonne femme par la rue Basse Wez, N°4 le tour de la ville,
- N°5 St Lambert - Herstal,
- N°6 St Lambert - Vivegnis - Oupeye
- N°20 le premier trolleybus Cathédrale - Cointe, le tram vert Liège - Seraing.
Les motrices tout comme les remorques, avaient plate forme à l'avant et à l'arrière (voir musée des transports) juste des glaces sur l'avant et l'arrière, aussi en hiver contre le froid, les watmans étaient en sabots et aux mains des mitaines de laine, sur les poignées des commandes en métal des manchons de cuir, gros pardessus, écharpe et casquette avec le pied droit le watman actionnait une sonnette pour écarter des voies les piétons, charrettes, etc.
Le receveur avait un casier en bois avec les différents tickets en papier et de couleurs différentes selon la distance à parcourir, un gros crayon avec le bout en caoutchouc, avec lequel il marquait le ticket à l'arrêt demandé et le détachait des autres.
En hiver pour ne pas ouvrir la porte du compartiment fermé, il y avait une petite ouverture dans les portes, par laquelle passaient tickets et monnaie, le percepteur restait à l'intérieur, on lui demandait l'arrêt souhaité et attachée le long du plafond, tirait sur une lanière de cuir actionnant une sonnette pour prévenir le conducteur, le percepteur des remorques sifflait une fois pour l'arrêt, deux fois lorsque le convoi pouvait repartir, les freins étaient actionnés par un grand volant.
Il y eut une grande catastrophe, un tram descendant la rue de Campine freins cassés, se fracassa sur les maisons à Fontainebleau, il y eut de nombreux morts et blessés, les freins hydrauliques furent une très grande invention tant pour les trams que pour les autos.
L'énergie était fournie par câbles de cuivre dans les rues, attachés aux façades des maisons à hauteur de la base des premiers étages, le courant arrivant à la motrice par une flèche, celle-ci sautait bien souvent de la ligne et avec plus ou moins d'adresse, le percepteur la faisait rentrer sur le câble de cuivre.
Au début, les aiguillages fonctionnaient à la main avec un outil, plus tard au pied. Le percepteur descendant du tram pour l'actionner et ensuite électriquement par le watman. La ligne N°4 suit toujours le même trajet du tour de la ville, mais empruntait la rue de Fétinne aujourd'hui à sens unique.
En été par fortes chaleurs sur la ligne de Herstal, il y avait une voiture découverte et derrière la motrice une ou deux remorques avec plates formes, les rails subissaient les différences de température, un peu voilées, on était bien secoués.
Pour l'exposition de 1939, les premiers trams modernes fermés, à freins hydrauliques et à ouvertures des portes automatiques firent leurs apparitions. N°17 et 18, ils partaient soit de la gare du Longdoz ou des Guillemins et rejoignaient les palais à Coronmeuse à l'emplacement actuel du grand building.
Lorsque nous revenions de Herstal, après une journée passée chez mon parrain, on changeait de tram à pied de la place St Lambert pour aller prendre le N°2 au Théâtre Royal le trajet total 0,75 centimes après 12 ans. Comme dit dans un autre chapitre, surtout pendant les années de guerre et le manque d'essence, les chars avec chevaux faisaient presque tous les transports.
Les pistolets de Saint Vincent
Dans notre métier, jusque certainement les années 1955, les viandes arrivaient couchées sur un char à plate forme de bois à hauteur des épaules des porteurs, avec un casier sur le dessous pour le reste du transport, les cruches à des crochets, une bâche recouvrait l'ensemble. Pendant la guerre bien souvent au passage, j'ai vu courir un affamé couper avec un couteau un morceau d'une carcasse et chassé à coup de fouet par le transporteur.
Le charbon arrivait dans un tombereau, c'est-à-dire un char à deux roues, on devait descendre le volet de la vitrine, après avoir débarrassé les marchandises de l'étalage et faire reculer le cheval, alors le cocher dégageait le tombereau, la houille tombait en partie dans la cave, le reste sur le trottoir, on terminait de le faire glisser dans la cave à la pelle et ensuite nettoyer le volet et la rue. Combien de fois le cheval reculant trop fort la vitrine a volé en éclats...
Le dimanche, les pistolets livrés par de petites charrettes, les sœurs de St Vincent de Paul en cornettes, faisaient avec le même véhicule la tournée des magasins pour récolter des vivres pour les pauvres.
Le dimanche au centre ville vers 5 heures de l'après midi, chez Bloch en face du Forum, on faisait la file pour les pistolets et pains français qui arrivaient tout frais, la première machine à couper le pain y fut installée et placée le long d'une vitrine. Elle mesurait presque deux mètres, les passants la regardaient fonctionner, c'était une nouveauté.
Jusqu'en 1950, il y avait encore très peu d'automobiles en circulation, les routes et rues en gros pavés et bombées, il fallait cinq heures pour rejoindre par exemple la mer. Les camions détrônèrent petit à petit les chevaux dans les années suivantes. Dans les entreprises alimentaires, il y avait des coursiers qui à vélo servaient les clients à domicile.
Pendant la guerre de 1940 tous les moyens de transport fleurirent, vélos avec petite remorque pour marchandises ou passagers, rares voitures ou camions au butagaz avec de gros réservoirs sur les toits ou les cotés dans lesquels brûlait du charbon de bois.
Les chevaux furent bien longtemps les rois des rues. Les rares trolleybus obligeaient tous les citoyens à aimer la marche. Que de fois, courtisant à Chênée, suis-je revenu à pied; on essayait d'avoir un compagnon de route, surtout avec l'occupation, cela semblait moins long et on faisait la causette.