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Restaurant Maison Le Blanc

Taches d'encre et tétanos, lanterne magique et filles à soldats.

Né en juillet 1920, je crois être dans les rares rescapés de la vie, habitant toujours et sans discontinuer ce coin de notre bonne ville de Liège, le quartier de Longdoz.

Mes souvenirs les plus lointains, sont de l'âge de l'école vers 6 ans; j'allais sans danger de circulation, à l'école St Paul derrière la Cathédrale (actuellement un grand parking).
Tous les jours, messe dans la chapelle à 8 heures. A la récréation de 10 heures, nous allions boire un verre de lait à la cuisine de l'école, le directeur était le chanoine Dejasse et la discipline rigoureuse.

Jusqu'à l'âge de 8 ans environ, l'habillement de tous les gamins était simple, culotte et vareuse de laine tricotée à la maison par les parents, tablier noir, hauts bas, gros souliers hauts, pour la pluie, un caban imperméable avec capuchon. Vers 10 ans la culotte devenait de tissu.

Avec le recul des années, je me rends compte du dévouement de nos instituteurs.
Une vie de famille extraordinaire, se déroulant dans l'amour, le travail à l'école, le respect pour nos parents, nos familles et nos instituteurs, nous les aimions et ils nous aimaient.

Des parents formidables, comme éducation, une main de fer dans un gant de velours, lorsque l'on faisait la rosse, il nous est arrivé "rarement il est vrai" d'être envoyé au lit sans souper, plus tard adolescent, pour deux heures de retenue au collège, pour motif sérieux, mon père en rajoutait deux. Oh, combien je lui en suis reconnaissant.

Cependant, ma vie n'a pendu qu'à un fil à l'âge de 5 ans, j'ai failli être emporté de l'appendicite et péritonite, mon heure n'était pas là.

Et quelle merveilleuse vie notre enfance, à l'école la première année, banc de bois, ardoise et petite éponge, touche, un trou sur le dessus du banc pour l'encrier, porte plume avec plume ballon, mallette au dos, cela nous obligeait à nous tenir droit, l'on mettait nos deux pouces dans les lanières.

Bien souvent le dimanche matin, nous allions rue de la Régence, louer des films pour notre cinéma Baby, l'après midi, c'était la réunion chez nous des cousins, tantes et oncles. On projetait les films loués et certains autres de notre collection "L'as du rail", "Charlot", etc. Papa accompagnait au piano, mon frère aîné tournait la manivelle du projecteur, la toile accrochée au lustre de la salle à manger.

Le quartier de Longdoz, était très florissant, mes parents y faisaient commerce, maison fondée en 1873 par une grand mère paternelle. Beaucoup de petites industries employaient pas mal de monde. Rue Libotte, il y avait chez Grisard, Doneux, Wathelet, et beaucoup d'ouvriers et employés. Tout au bout de la rue, à la place du gros building actuel, une capsulerie de cartouches de chasse, le personnel était presqu'entièrement féminin, par les fenêtres, on voyait fonctionner les machines. Dans les années trente, cette capsulerie explosa, il y eut beaucoup de victimes; démolie, elle ne fut jamais reconstruite.

Dans toutes les rues et quais avoisinants, d’autres petites entreprises florissantes, dont Palmolive rue des Champs, chez Romsée fabrique de brosses quai de Longdoz, une usine Englebert rue Grétry, aujourd'hui home du troisième âge.

Les parents ouvraient le magasin les dimanches de 8 à 12 heures et demie et de 17 à 19 heures, les papas se relayaient pour servir les nombreux clients, les mamans préparaient le souper, nous étions toujours au moins onze à table. A cette époque, le plat de fête était des poulets, des coucous de Malines ou de

Bruxelles, achetés le matin même chez Talbot à l'entrée de la rue St Paul face à la Cathédrale. Le dessert venait toujours de la pâtisserie Boulanger au coin de la rue de la Wache, nous y allions aussi de temps à autre le jeudi après midi goûter. Nous allions également chez Hombeek rue Cathédrale, dans cette maison, l'après midi, quelques musiciens jouaient les airs à la mode, c'était très huppé.

Nos parents étant fort occupés par le travail, nous avions aussi la chance, d'avoir une tante Berthe "de sucre". Bien souvent nous allions à Chèvremont monter le thier et boire le café à une laiterie; nous y passions des heures aux balançoires etc. A cette époque, tout le monde se connaissait et la vie autrement paisible que de nos jours, quelques voitures circulaient, les rues étaient le domaine du cheval de trait et des charrettes à bras, à certaines, des chiens étaient attelés pour tirer avec leur maître, il n'était pas rare d'y voir pousser un ou deux hommes et même des femmes. Les charrettes lourdement chargées étaient tirées. Le propriétaire s'attachait avec une sangle aux épaules et commandait ses chiens. Les charrettes plus légères étaient poussées par les brancards.

II y avait beaucoup de petits métiers, le plus beau et le plus pittoresque était à la saison, les marchandes de poires cuites, avec elles, pas besoin de réveil; elles chantaient en Wallon sur des airs propres à chacune " foo ti des peu ...res ? ". La première passait à 6 heures et demie du matin et les suivantes à heure presque fixe en début de matinée, car le travail commençait tôt pour tout le monde.

Aux charrettes dans les rues, on vendait légumes, houille au seau, bois découpés, fruits, on remoulait les couteaux, tous ces petits métiers avaient leurs clients et les appelaient de la voix en vantant leurs marchandises.

Aucun produit de consommation n'était préemballé; tout se mettait en sachets, depuis les légumes propres à chaque saison, tout comme les fruits (oranges en hiver, fraises six semaines par an) les bananes n'existaient pas encore, pas plus que les ananas ou tous les fruits exotiques. Le sucre était en vrac, les bonbons, biscuits etc. ... exposés dans de grandes boîtes de métal avec couvercle en verre.
Combien de fois suis-je allé chercher du sirop avec le pot en grès brun à sirop. Celui-ci était dans des demi-tonneaux de bois, on pesait avec des balances à 2 plateaux et des poids en cuivre de 50 grammes à 5 kilos. On n'était pas en ce temps blasé de tout ou pourri gâté comme de nos jours. Aucun produit n'était forcé; à la saison des fraises, le sucre fin n'existait pas, on cassait les morceaux de sucre avec le pilon en cuivre dans une cloche de cuivre, chacun à son tour.

Les pâtisseries étaient rares sauf au centre de la ville. Dans le quartier, il y avait cinq boulangeries de la Meuse à la Bonne femme, le dimanche ces commerçants faisaient un peu de pâtisserie et des pistolets. C'est seulement à partir des années 1930 que la pâtisserie devint plus importante. Ma Maman faisait ses tartes et on allait les porter pour cuire chez Dinrats, boulanger, près du pont de Longdoz.
Comme pains, une seule sorte, des gros et petits pains ronds de ménage en fin de semaine des pistolets. Petite remarque tous ceux qui n'ont pas plus de cinquante ans, ne sauront jamais ce que c'est un bon pain et un bon pistolet, pas plus d'ailleurs que viande, beurre, légumes, poulet, œufs etc.

Taches d'encre et tétanos, lanterne magique et filles à soldats.

Le cheval, roi des pavés.

Les trams étaient peu développés, la ligne 4 existait déjà et la ligne 2 faisait théâtre Bonne Femme, vous pouvez en voir ces exemplaires au musée des transports en face de l'école St Ambroise.

Comme dit plus haut, les rues étaient le domaine des chevaux de trait. Tous les transports, à 95 % certainement, se faisaient encore jusqu'en 1930 avec des chars et tombereaux.
Vu le danger du tétanos, du pont neuf (actuellement pont Kennedy) à la Bonne Femme, il y avait quatre femmes de la ville qui, à longueur de journée guettaient entre les pavés des rues et ramassaient les crottins des chevaux, elles le revendaient pour les nombreux jardins, car les horticulteurs étaient nombreux dans les rues de Seraing, de Huy et quai Orban, quai sur lequel il n'y avait ni route ni circulation, toujours pour lutter contre le tétanos, la rue Grétry était lavée à grands jets d'eau par les hommes de la ville tous les jours, sauf impossibilité par le temps en hiver.

Certains chars venant de l'Espérance-Longdoz étaient tirés jusque par 3 ou 4 chevaux imposants; il n'était pas rare qu'un cheval glisse et tombe; à ce moment, c'était l'effervescence dans la rue; on prêtait main forte au cocher pour calmer la bête, la détacher des brancards afin de pouvoir la relever; c'était une attraction fort prisée des gamins dont j'étais. Combien de fois ai- je vu plusieurs hommes pousser des chars pour aider cocher et chevaux à monter la rampe du pont neuf (Kennedy) pont à cinq arches en pierre, avec des escaliers en acier côte passerelle vers des bains publics en Meuse. Deux bassins, un pour femmes et un mixte, en hiver, il y avait la traversée de la Meuse à la nage du quai Marcellis à l'évêché.

Pour moi, gamin allant à l'école au centre, une autre attraction était le passage sur la Meuse de trains de chalands. Quand les eaux étaient fortes, il y avait deux remorqueurs à vapeur qui descendaient leurs cheminées pour passer en dessous des ponts. On courait là au bon moment, les chalands attachés par des câbles d'acier à environ 30 ou 40 mètres l'un de l'autre et chaque chaland avait un marinier au gouvernail. La Meuse avait ses écluses et barrages, notamment à hauteur de l'évêché (port de yachts actuel) et au petit Paradis à l'entrée.

En été, une de nos sorties avec les parents consistait à prendre le bateau mouche à la passerelle, les écluses nous impressionnaient avec une différence de niveau de plus de trois mètres. Le bateau allait tourner au pont de Seraing et nous déposait à Kinkempois aux laiteries. Il y avait un service régulier pour le retour. Les laiteries occupaient tout le terrain où actuellement se trouve en avant du pont de Sclessin une partie du port fluvial de Liège.

Mais passons à autre chose... Les voitures des pompiers n'étaient pas aussi modernes que de nos jours. Pour se frayer un passage, un pompier agitait une grosse cloche à l'avant du véhicule, à côté du chauffeur, c'était cependant déjà des véhicules motorisés, dignes de nos jours à figurer au musée.

Pour chauffer les maisons, dans la cuisine, une cuisinière au charbon. On y brûlait tout, notamment les déchets ménagers, cela épargnait les poubelles. En hiver lorsqu'il gelait et que nous rentrions de l'école frigorifié avec nos culottes courtes, Notre Maman nous mettait sur un pavé réfractaire sorti du four et debout vers le coin de la cuisinière. En un rien de temps on était réchauffé.
Les chambres à coucher nulle part n'étaient chauffées. Il y avait chez nous un petit poêle à charbon dans l'une en cas de maladie. L'hiver on montait dormir, soit avec une bouillotte, soit avec un pavé réfractaire et il n'y avait pas plus de malades à cette époque. Les chauffages modernes se sont implantés dans les années 50.

En janvier 1926, Liège et ses environs subirent des inondations catastrophiques. Toute la rive gauche, le centre ville, les boulevards avaient un mètre d'eau ou plus selon les endroits, encore aujourd'hui sur la Cathédrale, à St Denis à St Jacques, on peut voir les plaques marquant le niveau atteint par l'eau.
Le niveau le plus haut était à l'église du St Sacrement au Boulevard d'Avroy, plus de 2 mètres de haut ; rue Grétry, seules les caves et chez nous les frigos étaient sous eau, à Seraing, les digues ont cédé et l'eau atteignait à certains endroits le deuxième étage des maisons. C'est alors dans les années suivantes que l'on construit le pont barrage de Monsin, ce qui permit de supprimer les écluses et tous les petits barrages jusque Ramet, la Meuse étant au même niveau sur tout le parcours, on haussa aussi toutes les berges du fleuve. J'ai également connu l'éclairage au gaz, toutes les rues étaient éclairées par des réverbères au gaz. Au début de l'électricité, les pannes étaient chose courante, bougies et lampes à pétrole toujours prêtes à intervenir.

Quant au téléphone, il était mural avec sur le côté une petite manivelle pour appeler la "demoiselle du téléphone" on entendait "quel numéro" nous avions le 76 à Liège! On parlait dans un entonnoir placé sur le téléphone et on mettait un des deux écouteurs à l'oreille. Une sœur de mon Père avait le 87 à Malines.

Liège avait trois régiments en garnison, le 12ème de ligne d'infanterie à la citadelle, le 14ème de ligne d'infanterie à la Chartreuse et le 3ème d'artillerie au boulevard de la constitution avec ses fameux canons de75 mm. Bien souvent en exercice, clairons et drapeau, officiers en tête le 12ème ou le 14ème passaient dans la rue, la foule les regardait passer avec fierté. Pour l'artillerie c'était plus rigolo, car les pauvres servants sur les canons ou sur les caissons à munitions étaient secoués comme des pruniers en passant sur les gros pavés des rues.

Tous ses soldats animaient à la soirée le centre de Liège ou les quartiers et faisaient le bonheur des cafés, restaurants et certains petits endroits spéciaux.

Le cheval, roi des pavés.

Table de cuisine et d'opération.

Tout autre chose! Heureux les enfants de nos jours lorsqu'ils ont une angine, quelques antibiotiques et on n'en parle plus, pour nous hélas, il fallait souffrir une semaine avec fièvre, gargarismes et bleu de méthylène avant d'en être soulagés. Tout comme ma Maman et un de mes frères, je fus opéré de l'appendicite à la maison, le chirurgien se déplaçant avec le nécessaire... incroyable de nos jours! Nos Mamans et même mon épouse en 1946 - 1948 et 1955 accouchaient avec l'aide d'une sage femme et tout cela à la maison.

Le quartier de Longdoz commença à péricliter tout doucement avec la récession des années trente; mon Père eut la merveilleuse idée dès 1935 de s'installer en plus au centre ville en gardant nos ateliers et magasin rue Grétry; mon fils aîné pour la 4ème génération, est magnifiquement installé dans un magasin et atelier super équipé et moderne rue Lulay.

Pour essayer de relancer les commerces, l'association des commerçants du Longdoz inventa les braderies; à l'époque c'était formidable, un monde fou, attractions foraines ou autres place de la gare, carrousel etc. Mais cela ne durait que quelques jours et tout retombait dans la médiocrité.

Comment ne pas parler de la batte à cette époque, quel folklore, la radio etc. n'existant pas, on faisait cercle autour des petits orchestres et chanteurs de rue, toutes les nouvelles chansons y passaient, ensuite le chanteur vendait une feuille avec les paroles et la musique, lorsque j'allais à la batte c'était cela qui m'intéressait le plus, jouant du piano, j'essayais de me rappeler la musique, les camelots étaient aussi extraordinaires pour vanter leurs marchandises et après démonstration pour les vendre.

Quelle douceur de vivre à cette époque, nos jouets des soldats de plomb, trottinette, propulseur, partie de jacquet, de dames, valet de pique, nain jaune, jeu de l'oie, ramis, piquet, bataille, partie de billes sur le trottoir ou dans le jardin à Herstal, gendarmes et voleurs, cache-cache etc., on était heureux de rien.

Si en semaine on usait les vêtements habituels, nous portions tablier noir et caban pour aller à l'école St Paul et jusqu'à sept ans environ, culotte et vareuses de laine tricotées par Maman ou tante Berthe.
Le dimanche, on portait le costume marin à la mode, avec le grand col et cravate, l'aîné des fils avait des cordelières rouges aux manches, col, épaules, les autres dont moi même le cadet des cordelières blanches.

En grandissant, le plus ennuyeux, les vêtements passaient du plus âgé au plus jeune, votre serviteur...
Les mamans n'étaient pas gâtées comme de nos jours, les escaliers, meubles de cuisine, les pierres de taille de façade se frottaient au sable blanc, la cuisinière en acier au noir brillant et papier émeri, comme produits d'entretien du sel de soude, du savon vert, des paillettes de savon Lux. Je vois encore Maman laver dans l'évier de la salle de bains les chaussettes. Dans ma prime jeunesse, nos bains se donnaient dans la cuisine dans une baignoire en zinc mise sur deux chaises, cependant dès 1926 mon père à l'avant-garde se fit installer salle de bains et chauffage central choses très rares à l'époque.
Nous étions d'une famille travailleuse et assez aisée, très jeunes Spa étant à la mode, nos parents louaient pour les vacances une villa, par la suite ce fut la mer du nord à Duinbergen, notre maman restait avec nous, notre chère Tante Berthe la remplaçant le samedi au magasin, Papa venait le week-end.

Hélas il y eut la terrible récession des années " trente" mon Père ramassa une terrible dégelée, d'abord avec les inondations de 1926, tous les frigos et marchandises détruits, ensuite les crashs du Crédit Anversois et de la Banque Chaudoir. Adieu vacances, si ce n'est quelques jours à Thuin chez notre Tante Berthe et cela pour notre bonheur dura des années, car mes fils eux-mêmes connurent ces jours merveilleux dès l'enfance et l'adolescence.

Table de cuisine et d'opération.

La mer, le foot et le ciné.

A l'âge de 15 ans, je recevais 20 francs pour ma semaine, avec ce pécule, nous allions mon cousin et moi au Standard ou à Tilleur, le tram vert coûtait 0,25 centimes, entrée gratuite au stade jusque 12 ans et après on essayait de tricher un peu, au time nous achetions une gaufre aux fruits et un nanouk (choco glacé), au retour nous allions près de nos parents au magasin ouvert rue du Pont d'île pour souper, ensuite séance au Forum ou au Palace; tous les jours dans ses deux salles, le programme se composait comme suit :

- les actualités Fox Movietone ou Pathé
- un documentaire ou un dessin animé
- après l'entracte et ses publicités, orchestre et 2 attractions sur scène
- le grand film

Pendant la guerre de 1940 et après avec ma future épouse, nous avons vu les débuts de Henri Garat, Brel, Bécaud, Piaf, Les compagnons de la chanson, Tino Rossi, Aznavour, Moreno, Salvador, un spectacle mémorable avec Joséphine Baker, etc.

Au Palace pendant le spectacle, on pouvait à son fauteuil boire une consommation. Un garçon de café passait entre les rangées et prenait commande. Dans le fond de la salle, il y avait le tee room, où, assis à une table pour quatre personnes, l'on pouvait se faire servir pâtisseries et boissons.

Au sortir du cinéma pour terminer la soirée et obligatoirement être rentrés pour 10 heures, nous allions à la Lanterne boire un Dortmund et ... je faisais encore des économies en semaine pas question de sortir, le travail ne manquait pas.

Il y avait quantités de cinémas à Liège, rue Pont d'Avroy, le Cinéac, où le dimanche de 10 à 12 heures pour 2 francs l'entrée, passait exclusivement des documentaires. Mais aussi le Forum, le Palace, rue du Mouton Blanc le Churchill, au boulevard de la Sauvenière le Carrefour (banque G), le Crosly (à côté de la Meuse) avec dès l'entrée la statue de la Reine Astrid présentant à la foule du balcon de l'hôtel de ville le petit prince de Liège

(Roi Albert II) lors de sa joyeuse entrée à Liège avec le Roi Léopold III, ensuite l'Astoria (Innovation), le Mondain et l'Américain, cinémas populaires, tous deux rue de la Régence. Que de bonheur avec les films de Charlot, Harold Lloyd, Double Patte et Patachon, Buster Keaton, Laurel et Hardy etc. Le premier film parlant, "le Chemin du Paradis" avec Henri Garat, Liliane Harvey, Pils et Tabet est resté des mois à l'affiche.

Il y avait aussi le cinéma Rio à Sclessin où il a eut de nombreux morts. Un de nos ouvriers présent, donna l'alerte et sortit sain et sauf, le Roi vint rendre hommage aux victimes les jours suivants.

La mer, le foot et le ciné.

Longues journées, long apprentissage.

Ayant pris le métier de mes parents dès 1937, j'ai commencé au bas de l'échelle, c’est-à-dire, coursier, nettoyage, etc. "il fallait savoir travailler et obéir avant de pouvoir commander". Je servais même à domicile à vélo quelques clients le dimanche matin, de 1937 à février 1940 (l’entrée soldat allemand) le dimanche à 5 heures du matin, j'allais avec mon Père aux abattoirs de Chénée, afin de choisir le premier choix dans les porcs, on les amenait dans la matinée du même dimanche et il fallait les mettre à point, c'est-à-dire, couper certaines parties des carcasses et les descendre dans les frigos.

Pendant plus de 40 ans, se modernisant au fil des années, malgré des ateliers bien équipés pour l'époque, nous avons travaillé sur trois étages, frigos au sous sol, atelier de fabrication et de cuisson au rez-de-chaussée et frigos, séchoir et atelier de découpe au premier étage. Que d'efforts et de peines pour tous, minimum plus de 55 heures semaine au début, cela ne nous empêchait pas de siffler et de chanter tous, on était heureux.

Nos magasins ouverts le dimanche de 8 à 12 et de 17 à 19 heures rue Grétry, au centre de 9 à 13 heures et de 17 à 21 heures!!!

Notre magasin du centre ouvert en 1935 fut fermé de mai 1940 à septembre 1946, moment où le ravitaillement revenait doucement et la location payée 6 ans magasin fermé.
Aussi a-t-il fallu après la libération, travailler ferme pour rattraper le temps perdu, jeunes mariés nous étions de service un dimanche sur deux, comme distraction le dimanche le foot et le mardi soir, soirée au cinéma, souvent au Marivaux rue Vinâve d'Ile. A cette époque, nos parents prenaient la garde de nos deux premiers fils.

Comment oublier aussi cette époque avant 1940, où en plus du foot, la Belgique entière en juillet se passionnait déjà pour le tour de France, celui-ci se courait par équipes nationales aux couleurs belges sur les maillots, Romain Maes gagna une fois la première étape et gardait le maillot jaune jusque Paris, que dire des Silvère Maes, Félicien Vervaecke, Vissers, Jean Aerts, Eloi Menlenberg, Masson, Van Loy, Dupont, Brankart etc. etc., on s'arrachait les éditions spéciales des journaux, pour savoir qui gagnait l'étape du jour, chez les Français je me rappelle les frères Pélissier, Lapebie etc. Il n'y avait pas de reportage à la radio, il fallait aller au cinéma pour voir les actualités avec une semaine de retard.

Comme grandes surfaces de vente, il y avait le Grand Bazar de la place St Lambert, le Bon Marché, Sarma et l'Innovation au centre ville rien dans la périphérie. Il y avait pour les clients du personnel aux ascenseurs et aux portes d'entrée tournante.

Pour la conservation des aliments, une bonne cave, car pas de frigo ménager et dans les magasins pas de comptoir ou vitrine frigo, juste un grand frigo où on allait chercher pendant les chaleurs les produits demandés par le client.

Une petite idée du coût de la vie avant 1940, époque bénie, tout au moins pour ceux nés du bon côté de la barrière.

Une toute belle paire de souliers 150 à 250 francs.
Un costume sur mesure (3 essayages) tissus anglais 900 francs.
Le kilo de beefsteak tout premier choix de 28 à 38 francs le kilo.
La charcuterie premier choix de 16 à 24 francs du kilo.
Un demi (litre) de bière 1 franc et 0,90 pour les militaires.
Un pain d'un kilo 1,75 francs
Le bâton de chocolat côte d'or 1,25 francs.
Le gros sachet de frites 1 franc + 0,25 pour moutarde ou mayonnaise.
Le cornet d'amour de crème glacée 1 franc ou 1,25 francs avec crème fraîche. Le beurre de ferme 28 à 30 francs le kilo.
La maquée au beurre fraîche servie dans des récipients troués Y2 kilo 0,25 franc.
Le lait entier à la cruche 0,35 à 0,40 centimes.
Une gaufre liégeoise 0,25 centimes aux fruits 0,40 centimes. Pomme de terre le kilo 0,20 à 0,25 centimes.
Un verre de peket au café 1 franc (32 verres au litre). Caramel au chocolat 5 pour 25 centimes.
Cigarettes filtre 1,25 les 25.
Paquet de maïs 0,25 centimes.
Trajet de tram N°2 du Théâtre à la rue Libotte 0,20 à la gare 0,25 Place fauteuil au Forum ou Palace 1,20 4 heures de spectacle.
N.B. : tous ces prix ont été vérifiés et discutés avec des commerçants ou des personnes de mon âge ou plus âgées.

Chez nous, les ouvriers gagnaient de 400 à 1000 francs par mois, logés et nourris, assurés contre les accidents, mais pas de sécurité sociale, ni mutuelle, malade c'était regrettable, ce qu'il y a de curieux à cette époque, un peu mal dans sa peau, on travaillait pour ne pas perdre son salaire et c'était plus de 40 heures semaine.

Les ouvriers avaient congé le dimanche, mais nous, les indépendants, on prestait encore quelques heures. Les congés payés sont venus bien après la guerre.

Longues journées, long apprentissage.

Volez pigeons, roulez jeunesse.

On se faisait photographier aux grands événements de la vie, âgé de quelques mois, tout nu sur une peau de mouton, première communion, mariage, ou à quelques beaux moments de la vie.

Mon Père possédait un daguerréotype, ancêtre de l'appareil photo, la prise de vue s'imprimait sur verre que l'on passait à la lanterne magique. A Spa et dans les autres lieux publics, place St Lambert, il y avait toujours un photographe pour prendre un cliché souvenir, c'était un énorme appareil en bois, et l'opérateur se cachait en dessous d'un drap noir, lorsque c'était prêt "attention ne bougez plus" et il poussait sur une poire en caoutchouc qui déclenchait l'appareil, on recevait la photo une demi heure après.

Que dire aussi des pigeons et des concours, j'ai connu le pigeonnier de mon grand père, c'est un très beau souvenir, mon grand père était grand connaisseur et faisait courir ses bêtes, mon Père les garda bien longtemps. J'ai connu la foire d'Octobre depuis le début du Boulevard de la Sauvenière, jusqu'au Petit Paradis (rue de Fragnée) et tout le Boulevard Piercot, à la fin de ce boulevard près de l'évêché il y avait toujours un cirque, souvent celui des frères De Jongue, un des plus beaux manèges était le cheval galopant, parti à prix d'or au Canada pour l'expo de Montréal, je l'ai connu fonctionnant avec une énorme chaudière genre locomotive et au charbon, c'était impressionnant avec la vapeur tous les manomètres et lorsqu'on rechargeait la chaudière. Plus tard, il fut transformé à l'électricité. Ce manège était énorme, avec son imposant limonaire orné de grandes sculptures. J'en connais encore par cœur l'un des principaux airs de musique joué, les départs et fins des tours annoncés comme sur les locomotives par un sifflet à vapeur, le dessous de la chaudière était une roue dentelée, qui, comme un engrenage avec le plateau du carrousel faisait fonctionner l'ensemble. Le nom du propriétaire marqué au fronton était monsieur Boland, dommage de ne pas avoir pu garder chez nous une telle merveille du passé.

Dans le même genre de manège, la montagne russe, les barquettes pour six ou huit personnes, montaient, descendaient et tanguaient comme un navire, il ne fallait pas avoir trop mangé.
Dans toutes ces attractions, il y avait le Tee Wip, le Railway en bois, le Waterchut, l'inoubliable baraque de boxe avec sa parade avec grosse caisse et tambour, pour présenter les boxeurs et attirer les amateurs qui osaient se mesurer avec eux. Cela avait un succès fou, l'amateur se faisait souvent daupiner et passait faire sa petite collecte parmi l'assistance après le combat, nous étions parvenus un jour à persuader un de nos ouvriers à aller boxer. Il avait reçu une bonne correction, c'était souvent ou des comparses dans la foule ou des soldats qui relevaient le défi. A chaque passage sur la foire, irrésistiblement, j'allais voir.

Que dire du musée Spitzner, exposant devant l'entrée ses figurines en cire de l'enfant à deux troncs et deux têtes, etc. A l'intérieur, le tout en cire, représentant ce que la médecine connaissait à l'époque, maladies, sexe, etc., interdit avant 16 ans, on se réjouissait d'avoir l'âge requis pour entrer, c'était intéressant et une sorte de mise en garde sur les maladies vénériennes exposées etc. Notre Père pour la première fois nous y accompagnait pour nous expliquer, nous mettre en garde, car nous n'étions pas aussi avancés et informés que les jeunes d'aujourd'hui.

Il y avait évidemment quantité d'autres attractions, baraque des phénomènes, palais des glaces, la roue joyeuse, tirs, tombola et tutti quanti. Notre parcours se terminait toujours par le passage chez Max, splendide installation de dégustation, magnifiquement tenue par toute une famille; sur le devant et au milieu du restaurant, on voyait travailler, servir et s'affairer les ouvriers, pâtissiers aux fers à gaufres de Bruxelles, lacements, beignets, frites, etc. Sur le côté, des loges avec tables et bancs, au fond de la salle un comptoir d'où partaient les boissons sous la surveillance du Père Max, la maman à la caisse, les cinq fils à la production avec un nombreux personnel. Sur le côté droit, une grande salle pour plusieurs dizaines de consommateurs, ce restaurant avait une renommée énorme, le monde s'y pressait, on attendait certains jours de pouvoir entrer et avoir place, de plus c'était extra comme qualité.

D'autres, bien sûr, existaient déjà aussi : Désiré de Lille, Fritz, Plouette et combien d'autres comme aujourd'hui, mais jamais plus on ne verra sur un champ de foire une installation aussi grande, belle et active.

Le troisième dimanche d'octobre était le jour des paysans. Rue Grétry, mes parents faisaient des centaines de pistolets fourrés pour les voyageurs qui venaient y passer la journée et débarquaient à la gare du Longdoz.

Volez pigeons, roulez jeunesse.

Que de trains, que de trains !

Parlons-en de cette gare...

Du temps de sa splendeur, les abords et les installations de la gare étaient superbes et impeccablement propres. Deux rampes en petits pavés jaunes quadrillés légèrement en montée, bordées de grosses bornes en pierre de taille reliées entre elles par de grosses chaînes tressées, pour arriver au bâtiment de la gare. Celui-ci occupait à peu près toute la largeur disponible entre les pâtés de maisons de la rue Grétry.
De face, en entrant par le côté droit il y avait les guichets, le bureau du chef de gare, du sous-chef de gare, la salle d'attente première classe, la salle d'attente troisième classe et la salle des pas perdus, où l'on attendait le départ ou l'arrivée des trains; aussi un café restaurant et toilettes.

En dessous de la rampe gauche, un endroit bien précis dont les hommes ont bien besoin, lorsque les verres de bière doivent revenir.

Jusque vers 1935, le trafic sous la compagnie du Nord Belge était très dense, la ligne de Paris partait de Longdoz, les premiers wagons en acier y furent affectés.
Mon père disait à la grande époque où les moyens de transport n'étaient pas aussi nombreux, il arrivait ou partait de Longdoz un train toutes les cinq minutes il y avait plusieurs quais, les dimanches de grands matchs au Standard ou à Tilleur; il y eut jusqu'à trois trains spéciaux pour Ougrée, dès l'âge de six ans combien de fois l'ai-je pris avec mon Père!

Nous avions une loge dans la tribune du Standard; j'ai 74 ans lorsque j’écris ces lignes et c'est toujours mon club favori, mais que de changements dans tous les domaines, je me rappelle trois grands supporters aussi acharnés que nous, Monsieur Pelzer pharmacien, Monsieur Fabry pâtissier et Monsieur Fabry quincaillier.

Au retour, on entrait à l'Hôtel de France (Armée du Salut) attendre les résultats des matchs, ceux-ci communiqués par téléphone, on les inscrivait au fur et à mesure sur un tableau spécial sur lequel les équipes étaient inscrites, selon les résultats les clients manifestaient leur joie ou leur déception...

Il fallait attendre assez longtemps et en hiver pour se réchauffer, on buvait un Bovril chaud avec une biscotte.

Sur une étagère dans le café, il y avait des statuettes de footballeurs aux couleurs des clubs. On mettait selon les résultats aux vainqueurs, une casquette, pour un match nul, une demi buse et battu, une grande buse, ensuite on les rangeait dans l'ordre du classement général avec le nombre de points acquis.

Dans la rue Natalis il y avait un passage à niveau, presque toujours fermé vu le trafic et un tunnel pour piétons. Il y puait la gale, ce ne fut pas par gloire qu'on le supprima le plus tôt possible, une fois la gare désaffectée.

Petit à petit, la société du Nord Belge, rachetée par la SNCB, le trafic ferroviaire passa aux Guillemins et Longdoz fermé, de ce fait, les commerces et le quartier perdirent activités et prospérité. Mon Père eut alors la formidable idée de bien vite, dès 1935, nous installer au centre de Liège rue Pont d'Ile, tout en gardant nos ateliers et magasin rue Grétry.

Rue Libotte, la gare de marchandises pour expédier des colis continua encore des années, des camions transportaient aux Guillemins les colis.

Les bâtiments et entrepôts tombants tout doucement en dégradation, il fallut des années pour voir raser le tout, y compris les maisons de la rue Grétry et Libotte, pour construire le complexe actuel et élargir la rue Libotte. Le vrai site de la gare resta terrain vague et parking jusqu'à ce mois d'avril 1994 où un nouveau complexe se construit.

Que de trains, que de trains !
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